C’est le bouquin le plus passionnant et fouillé sur le sujet. Du coup, tout le monde en parle et c’est déjà une victoire en soi. Ex-styliste chez Dior, chercheuse associée au CNRS et historienne de la mode, Audrey Millet vient de publier Le livre noir de la mode aux éditions Les Pérégrines. Un panorama aussi fascinant qu’inquiétant sur la surconsommation du vêtement, de son origine aux résultats catastrophiques de la fast fashion, voire désormais de l’ultra-fast fashion. À mettre entre toutes les mains.
S.O.S. d’une modeuse en détresse
“On a besoin de Pinault !” Audrey Millet s’est lancée dans une vraie étude historique et sociologique (non sans citer Bourdieu et Baudrillard), mais son Livre noir de la mode est avant tout un cri d’alerte lancé aux universitaires pour faire de cette “industrie malade” un vrai sujet d’étude (“La mode est considérée comme un truc de filles, alors que c’est éminemment politique”) mais surtout aux grands patrons et industriels.
Si de bons élèves se dégagent comme le groupe Kering qui a été le premier à réfléchir à une mode plus écoresponsable (“Ce qui n’est pas du tout le cas de LVMH !”), Nike par exemple pourrait tripler le salaire de ses employés sans grand impact sur ses prix et donc sur le consommateur. Sans parler bien sûr des Ouïghours dont on parle depuis quelques mois ou du Bangladesh, où l’on demande aux femmes de prendre la pillule pendant leur contrat et où les syndicalistes rebelles disparaissent : “Tout le monde parle d’esclavage moderne, mais je ne vois pas la différence avec celui du passé”, s’offusque l’auteure.
Ces teintures qui font tache
“Le problème, c’est que le consommateur ne se rend plus compte qu’un trench ne coûte pas 40 €”, expose Audrey Millet. Sauf que ces petits plaisirs à prix mini ont un coût humain très élevé, et pas que dans des contrées lointaines auprès des manufactures. Le principal responsable ? La teinture.
Sa version bio à base de produits naturels coûte si chère que quasiment personne ne l’utilise, pas même les maisons de luxe. L’immense majorité des industriels lui préfère la teinture bourrée de métaux lourds qui passent par la peau pour se loger à l’intérieur du corps. Résultat ? Des taux d’infertilité et de cancers plus élevés que jamais. Gare à la poudre aux yeux : même un coton certifié bio peut être teint avec des métaux toxiques.
Nous les Français, ces autruches
On parlait dans le dernier documentaire Arte Fast Fashion, les dessous de la mode à bas prix des ateliers illégaux de Boohoo à Leicester. “Mais au moins, en Angleterre, on privilégie beaucoup les asso et charity shops pour acheter des vêtements”, tempère Audrey Millet. En fait, c’est encore plus compliqué en France : “Nous, on est carrément bloqués à cause du sacro-saint trio Saint Laurent, Chanel et Dior : on n'a pas le droit de dire du mal de la mode, du coup on se tait. Ça reviendrait à dire qu'on n’est pas les meilleurs, alors on préfère admirer ces trois noms depuis notre arc-en-ciel de bisounours à paillettes”.
Et le made in France, alors ? “C’est mignon, mais ça me gêne en matière de souveraineté nationale. Nous sommes européens, il n’y a pas de raisons qu’on n’aille pas produire en Italie ou au Portugal...”
Et le vintage dans tout ça ?
Considérer que nous avons déjà largement assez de vêtements sur terre et opter pour la seconde main semble une solution. Sauf que le vintage étant de plus en plus à la mode, ses prix vont nécessairement augmenter, ce qui se vérifie déjà.
En plus, les classes modestes “veulent du neuf” : “Acheter du vintage, ça vous rappelle que, petit, vous avez hérité du col roulé du grand frère”, illustre Audrey Millet. Quant aux géants en ligne comme Zalando qui se mettent au Pre-owned, il s’agit d’une façade : “On reste en surconsommation, même de vintage, ce qui montre bien que le problème de base n’est toujours pas soigné.”
Quelles solutions ?
L’éducation, d’abord, en expliquant aux plus jeunes qu’on ne naît pas laid et que les instagrammeuses véhiculent une image erronée de la beauté. Rediscuter ensuite la relation parents / enfants : “Le parent n’est pas le pote de son gosse, c’est celui qui explique et qui sait.”
Il s’agit enfin de réfléchir à son propre comportement : “J’ai 7 t-shirts noir, est-ce que le 8e est utile ?”, puis chercher à varier les plaisirs en s’offrant une place de cinéma à la place. Avoir plus de pièces dans son placard implique qu’elles soient moins chères, et c’est là le problème. Réapprendre à aimer les fringues que l’on a déjà, penser par silhouette en imaginant des compositions, c’est aussi leur donner une seconde vie.
Le livre noir de la mode d’Audrey Millet, 20 €
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