© Vincent Flouret / Canal+
Elle a fait arrêter des pointures du grand banditisme et géré des affaires devenues cultes. Madame Claude, Guy Georges, la mort de Lady Di, c’est elle qui a tout géré. Petite fille et fille de policier, Martine Monteil est la première femme flic à avoir dirigé la Crim’, la PJ et quelques unes des brigades les plus prestigieuses : les stups, la mondaine ou encore la répression du banditisme. Vous parlez d’une pointure…
À l’occasion de son passage dans l’émission Profession : Flic de Michel Denisot le 16 janvier à 23h sur Canal +, et en compagnie du gratin du 36 quai des Orfèvres, elle reste la plus gradée autour de la table. Bref, la big boss, c’est elle. Désormais retraitée, elle revient pour nous sur son incroyable carrière… et un brin d’actualité.
Comment doit-on vous appeler ?
Normalement, c’est la dernière dénomination qui compte, en l’occurrence celle de préfet. Tous les gens qui m’ont bien connue m’appellent Madame le Préfet. Certains sont encore dans le “Directeur” parce qu’ils sont restés sur la PJ, mais normalement c’est la dernière fonction qui prime.
Meilleure à l’école, en sport, major de promo, femme flic la plus gradée de France… Être la première, c’est important pour vous ?
Pas du tout ! Ce n’est pas un objectif, je ne suis pas pétrie d’ambitions. Je vais vous faire une confidence : au cours de ma carrière, je ne savais jamais à quel point d’indice j’étais dans l’échelle de notre administration. Bien sûr, j’étais toujours contente d’évoluer, c’est une récompense de ce que vous investissez dans le travail. Moi, j’ai toujours été mue par ma passion pour ce métier. Il n’y a que ça qui comptait : mes hommes, le terrain, le métier. Donc pas de calcul, voyez-vous. Aucun !
Environ 70 % des affaires criminelles sont résolues. Pour les 30 % restants, comment gère-t-on l’échec ?
Le taux d’élucidation est très fort pour la brigade criminelle... Restent ces fameux 30 %, qui concernent des affaires où il n’y a rien de rien : pas de témoin, rien à se mettre sous la dent pour la police scientifique. Bien sûr, on préfère toujours mettre un nom sur une affaire.
Le plus frustrant, c’est lorsqu’on a une intime conviction vis à vis de quelqu’un que l’on n’arrive pas à coincer. Mais je disais toujours à mes hommes qu’il faut presser l’affaire jusqu’à la dernière goutte, avoir essayé absolument toutes les pistes, vérifier mêmes celles qui nous semblent les plus éloignées. C’est vraiment un travail de fourmi. Il arrive d’avoir en face un suspect très retors, et surtout qui a eu de la chance. Il faut bien être fair-play !
Le terrain, ça vous manque parfois ?
Je ne suis pas une nostalgique, j’ai plutôt tendance à regarder devant moi que derrière moi. Si je regarde derrière, je vais vous dire : je n’ai que du plaisir, de la satisfaction. J’ai eu la chance d’exercer un métier qui m’a passionnée, qui m’a permis de partager avec des hommes et des femmes assez extraordinaires, j’ai vécu de grandes affaires. C’est un beau parcours.
Maintenant que l’âge est là, tout cela reste en moi comme de bons souvenirs. Je suis encore en contact avec des tas de gens avec qui j’ai partagé ce métier, ce qui me procure encore du bonheur.
Pourquoi opposez-vous la noblesse des “beaux voyous” de l’époque aux nouveaux bandits de petite envergure, mais ultra violents ?
Le mot “noblesse” est trop fort, mais il y avait une sorte de respect mutuel du voyou et du flic, dans le temps. Mon père et mon grand-père le disaient souvent, je l’ai moi-même constaté. Des gens du grand banditisme, qui étaient piégés et allaient prendre 15 ou 20 ans, nous ont quasiment félicités, sur le principe du “J’ai joué, j’ai perdu”. Ça, c’est la classe. Pour autant, on ne leur pardonne pas, ils ont payé ce qu’ils devaient ! Mais, au moins, ils ne tuaient pas pour rien.
Maintenant, ce sont des moins que rien sans foi ni loi, qui pour n’importe quoi sont capables de tuer quelqu’un dans la rue ou sur le coup de la panique. Ils sont lâches, on l’a vu sur le pont [l’affaire du boxeur des gilets jaunes, ndlr], ils donnent des coups de pied à quelqu’un qui est à terre, il n’y a rien de glorieux là-dedans. J’ai vu cette dégradation, je n’avais plus envie de les auditionner. C’était des corvées, les gars se faisaient insulter et cracher dessus… On s’en lasse vite.
© La Petite Reine / Roger Arpajou
Comment a-t-on basculé vers cette nouvelle forme de criminalité ?
Mais parce qu’il n’y a pas de retenue, pas d’éducation ! Dans le temps, les gardiens de la paix pouvaient rentrer chez eux en uniforme dans le métro. Maintenant, ils ne peuvent plus. Ces jeunes sont dans la haine du flic, ils ne savent pas trop pourquoi. Mais c’est comme ça, dans la mesure où eux sont marginalisés, ils sont dans la haine et le rejet d’à peu près toute cette société, et de tout ce qui représente l’ordre, jusqu’à l’école. Ce sont des générations perdues. C’est triste, ce que je vous dis là, mais j’en suis intimement convaincue.
N’y a-t-il aucun moyen de changer la donne ?
À la condition de laisser travailler monsieur Blanquer (le ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, ndlr), qui s’y prend pas mal. Il faut arrêter le laxisme, laisser de côté la notion d’“interdire d’interdire”. Il faudrait que les parents soient beaucoup plus responsables, car tout part de l’éducation. C’est tout ! Donc d’abord, l’éducation des parents, puis l’instruction par les maîtres, etc. À partir du moment où les maîtres ont peur des élèves, bientôt les flics auront peur des voyous, tout est inversé.
Comment vivez-vous la Diminution des libertés individuelles depuis les attentats ?
Désolée, mais quand je rentre dans un magasin et qu’on me demande d’ouvrir mon sac, moi, je l’ouvre. On me demande mes papiers, moi, je les montre. Où est le problème ? On est dans une société où il y a des malfaisants partout, des gens dangereux. Alors petit à petit, oui, il s’agit d’une atteinte à nos libertés, mais à cause de qui ? De tous ces gens qui se comportent de cette façon. Si on veut avoir plus de liberté, il faut beaucoup plus de sévérité. Dans les peines, déjà. S’il faut construire des prisons, il n’y a qu’à en construire.
Le manque de liberté, c’est quand une amie me raconte qu’elle s’est faite dépouiller de ses quelques bijoux dans le métro. Elle devrait pouvoir prendre les transports sans se déguiser. La liberté est atteinte quand on a peur de se déplacer. S’il faut renforcer un certain nombre de choses pour donner plus de libertés aux honnêtes gens, moi, ça ne me dérange pas. Ceux que ça dérangera, il faut que ce soit toujours les mêmes, c’est-à-dire les voyous et les terroristes.
Peut-on faire un parallèle entre mai 68 et les gilets jaunes ?
C’est autre chose et c’est quasiment pire. En 68, j’étais encore étudiante - et pas dans les rangs de Cohn-Bendit. Il y avait deux, trois rues qui étaient dépavées. Rien à voir avec ce qu’on a vu à l’Arc de Triomphe. Les vitrines cassées, les voitures brûlées, c’est terrible ! À l’époque, les commerçants n’avaient pas été attaqués de cette façon. Ce qui se passe aujourd’hui est extrêmement grave. Si on ne se ressaisit pas et qu’on n’est pas un peu plus sévère, ça ne fera que s’aggraver. Et je dissocie bien les casseurs et les ultras des autres, qui ont de vraies revendications.
Pensez-vous que la loi sur la pénalisation des clients de la prostitution a été bénéfique ?
Je n’ai pas trouvé que c’était si judicieux que ça de pénaliser le client, si vous voulez. Il ne faut pas l’oublier, la prostitution est autorisée et libre. Je ne vois pas pourquoi le client serait moins libre que la prostituée qui s’offre. Nous, policiers, on est surtout enclins à chercher qui est derrière, car bien souvent ce sont des gens qui les exploitent, voire qui les maltraitent. Le client a toujours été un témoin, comme un toxicomane va être un témoin dans une affaire de drogues. Dans toutes les formes de proxénétisme, ce qui compte c’est ceux qui exploitent les femmes, ou les hommes d’ailleurs, aussi. Là, il y a du travail à faire, parce qu’il y a plein de formes de prostitution : de rue, en réseau, en studio, par Internet… C’est compliqué.
Vous venez de commencer un travail de conseillère pour le groupe de casinos Partouche. Quel sera votre rôle ?
Quand j’étais à la retraite, je m’étais accordé une année sabbatique. Que je n’ai pas eue ! J’ai été sollicitée par des productions pour travailler sur des scenarii de feuilletons ou de téléfilms. Puis, là, un ami m’a mis en relation avec ce groupe qui cherche à revoir ses méthodes, son fonctionnement. L’idée sera de faire des mise à plats et des audits sur la sécurité, le traitement des informations, les relations avec les services de tutelle, etc. Je travaille avec eux sur une révision totale de leur mode de fonctionnement sous cet aspect-là. Je ne sais pas du tout combien de temps ça va durer, il faudra d’abord se rendre sur le terrain et donner un avis d’expert.
Comment mène-t-on de front une vie de famille et une carrière aussi accomplie ?
Il faut s’organiser. Quand un enfant est petit, il faut une nounou quasiment à domicile, au vu des heures pratiquées ! C’est presque impératif. La sécurité, c’est d’avoir l’esprit libre. Ça a un coût et nécessite des sacrifices financiers au départ. Quand on est jeune, c’est un peu plus dur. Mais il faut avoir une tranquillité d’esprit, sinon ce n’est pas gérable avec ce genre de métier.
Il règne un fantasme Autour de la profession de flic. Quelle série policière vous semble la plus crédible ?
Moi, je ne regarde pas trop la télévision, à part les informations et un film de temps en temps. Il y a une série que j’ai beaucoup appréciée, c’est Engrenages, que l’on a élue quand j’étais présidente du jury du festival polar de Cognac. C’est bien vu, c’est bien rendu, l’atmosphère, le groupe, le travail du magistrat, de l’avocat, les rapports des uns aux autres. Elle m’a bien plue, et me plaît toujours d’ailleurs !
© Son et Lumière / Canal + / Caroline Dubois
Profession : Flic, diffusion le 16 janvier à 23h sur Canal +.
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