C’est LE groupe branché que le Tout-Paris s’arrache. Depuis leur single Vanille fraise en 2015 qui avait séduit des millions d’internautes, l’Impératrice enchaîne les concerts et déchaîne le dancefloor. A l’occasion de la sortie de leur premier album Matahari, nous avons voulu savoir qui se cache derrière ce sextuor parisien disco-pop. Rencontre.
Racontez-nous l’histoire de l’Impératrice…
CHARLES : L’histoire commence en 2012. À l’époque, j’étais critique musical et je me suis mis à faire de la musique à mon tour. J’ai rencontré les bonnes personnes au bon moment, et on m’a proposé de sortir un premier EP qui s’appelait L'Impératrice sur lequel j’ai fait jouer Lany, le premier musicien qui m’a rejoint dans le groupe. Il m’a présenté le batteur qui m’a présenté le guitariste… Par effet domino, on s’est tous rencontrés. Pendant trois ans, on a évolué qu’avec de l’instrumental, je ne voulais pas de voix car je voulais proposer aux gens autre chose qu’un format pop très standard, où l’on ne s’identifie qu’à la voix. Et puis, quand ça commençait à s’essouffler, j’ai rencontré Flore à un concert en 2015.
FLORE : Comme j’étais fan de L’Impératrice à ce moment là, je suis allée parler au leader du groupe. Il avait entendu mes voix sur un autre projet, il m’a envoyé des instrus pour que j’essaie des mélodies, et ça lui a plu !
CHARLES : À l’époque, on fonctionnait avec des featurings, mais je ne pensais pas prendre une chanteuse dans le groupe. Flore a tout changé.
Comment l’arrivée de Flore a transformé L’Impératrice ?
CHARLES : Au départ, on utilisait sa voix comme un instrument, parce que Flore a tendance à composer une mélodie au fur et à mesure. Cela nous permettait de donner l’âme qui manquait à nos instrumentaux. Et puis, assez spontanément, on s’est mis à explorer le format chanson qui a contribué à nous offrir un public plus large.
Aujourd’hui, vous êtes combien en tout ?
FLORE : On est six sur scène à plein temps, mais il nous arrive d’avoir des musiciens en plus. Lors de notre concert au Casino de Paris en avril, on avait des invités comme le chanteur Isaac Delusion ou Lomepal qui est venu faire un featuring.
CHARLES: Pour que notre groupe fonctionne, nous avons besoin de plus de six personnes, il y a aussi toute une équipe qui gravite autour de nous.
Votre groupe ressemble presque à une start-up, en fait... Comment fonctionne L’Impératrice, comment se répartissent les rôles?
CHARLES : Intrinsèquement, Flore compose ses mélodies de voix et on écrit les paroles à deux. Pour les compositions instrumentales, ça partait de moi jusqu’à récemment. Mais maintenant, tout le monde est libre de proposer une suite d’accords, un arrangement... Dans le groupe, tout le monde participe à part égale, chacun est autonome. Même si j’ai le final cut sur les morceaux, c’est important que chaque membre puisse mettre la main à la pâte. Ensuite, nous avons un manager qui s’occupe du lien avec les entreprises qui gravitent autour de nous, une attachée de presse, l’éditeur qui est Universal et l’avocat.
À quoi ressemble une journée type de L’Impératrice quand vous n'êtes pas en tournée ?
FLORE: En général, quand on n’est pas en tournée, on répète dans notre studio au Point Ephémère. On peut y passer la journée et sortir très tard. Autrement, on a aussi la promo, les interviews...
CHARLES : En ce moment, on travaille sur un projet qui s'appelle “Les récréations sonores”. C’est une composition en collaboration avec nos fans : tout le monde peut nous proposer des textes ou des rythmes, pour qu’on fabrique un morceau tous ensemble. Ce projet est chapoté par Culturebox et Spotify, c’est un documentaire en cinq épisodes.
FLORE: On commence aussi à se remettre à la composition, et on fait beaucoup de playlists avec différents médias, des remix et des DJ sets, pour des marques qui font des évènements éphémères comme 1664, Hermès, Cartier, Perrier, Lancôme… Pour manger, on va souvent à Palais Royal, au super restaurant coréen Bistrot Mee de Dany, un mec du groupe.
Pourquoi avoir attendu six ans pour sortir votre premier album ?
CHARLES : Les gens ont complètement changé leur manière de consommer la musique : avec le streaming, l’album a beaucoup moins de sens parce que ça coûte très cher de passer deux mois dans un studio pour enregistrer. Faire un EP est beaucoup plus simple : on peut le faire chez soi, avec des copains, on a droit de se tromper...
Qu’est-ce qui vous a motivé à faire cet album ?
Le lieu
FLORE : Au bout d’un moment, on s’est rendu compte qu’on avait suffisamment de morceaux pour se lancer dans l’album, et on en avait les moyens financiers et techniques : le label Microqlima nous suivait, on avait notre éditeur et notre distributeur... On était assez mûrs !
Êtes-vous fiers de vous ?
CHARLES : C’est difficile d'être fier de soi quand on a un certain niveau d'exigence. Je n'éprouve aucune fierté, juste un gros soulagement. Mais par perfectionnisme, je suis extrêmement frustré de certaines choses, au point de ne pas en être entièrement satisfait.
FLORE : C'est quand même une grosse étape de la vie d’un groupe !
Pourquoi Matahari ?
CHARLES : L'idée, c'est de s'inspirer de la vie de cette femme qui est extraordinaire. Elle a marqué l’histoire par son audace et sa liberté, à une époque où les femmes étaient complètement cantonnées à un rôle de ménagère et sous l’emprise du patriarcat. Matahari, c’est une nana qui a menti à tout le monde, qui a réussi à bluffer et duper qui elle voulait : elle s’est inventée danseuse, agent secret, elle s’est retrouvée à l'Olympia à faire des concerts dans des salles combles alors qu’elle n’était rien du tout...
Le groupe s'appelle L'Impératrice parce qu’on éprouve tous une certaine fascination pour ce que représente la femme : sa sensibilité, sa sensualité, son élégance... L'analogie me semblait toute faite entre Matahari et L’Impératrice, et ça permettait de brouiller les pistes et de ne pas définir le personnage de L'Impératrice. Ce qu’on retrouve dans cet album, c’est le côté multi-facettes de Matahari : on est six et on vient de milieux très différents (jazz, classique, rock, disco, funk…).
Quelles sont vos influences ?
FLORE : Il y en a beaucoup, car on est tous très différents dans le groupe, et on est fiers de ce métissage. Il y a surtout la French touch...
CHARLES : Oui, la French touch, c'est la musique avec laquelle j’ai grandi, et j’aime retranscrire cet univers. La French touch, c’est déjà un mélange de disco, de house… Dans nos morceaux, on cherche surtout à créer de l’émotion en faisant s’opposer des sentiments comme la joie et la mélancolie.
Agitation tropicale, Sonate pacifique... que représente tout ce vocabulaire pour vous ?
FLORE : L'histoire d’Agitation tropicale, c’est quelque chose d’assez fou et pas très orthodoxe. On peut lire plein de choses dans cette chanson: Charles aime bien dire que c’est l’histoire d’une partouze dans la jungle, parce que si on lit entre les lignes, il y a des choses quand même assez olé olé. Mais on peut aussi voir ça juste comme un voyage dans l'espace...
Quel est votre rapport à Paris ?
CHARLES : Paris est une ville extrêmement dure, violente, méchante. C’est une petite secte d’entre-soi et on a tendance à l’oublier. C’est pour ça que le premier thème de notre morceau c’est la désillusion, on a voulu rompre avec l’image d’Épinal de Paris en écrivain : “Paris tu n’es pas comme au cinéma”. Au Point Éphémère où on travaille par exemple, il y a des dizaines de tentes de migrants juste devant, et personne ne s’en occupe. C’est très symptomatique de l’égoïsme de cette ville dans laquelle on peut se perdre très facilement.
Vous n’écrivez qu’en français ?
FLORE : C’est un vrai parti pris, car c'est une langue qu'on avait envie de défendre. Moi, je sais que je vais interpréter un morceau en français avec beaucoup plus de force car c’est ma langue maternelle, et je peux vraiment jouer avec les mots. L’idée, c’était de proposer une autre manière d’écrire en français avec des analogismes ou des doubles sens… On voulait montrer que quand cette langue est bien utilisée, elle peut carrément groover ! Mais on a quand même deux morceaux en anglais dans l’album et on pense en faire un peu plus à l’avenir.
Quand vous partez faire des concerts aux États-Unis, vous chantez un peu français, un peu anglais ?
FLORE : Là à New York, on vient de faire une version anglaise d’Erreur 404, mais sinon on joue tout notre set en français. Alors que les gens ne parlaient pas la langue, ils chantaient quand même en français ! Ça peut marcher, il y a beaucoup de groupes qui se sont exportés à l’étranger, comme La Femme.
Votre prochain gros projet ?
CHARLES : On a deux gros concerts qui arrivent en fin d’année à l’Olympia le 29 et 30 janvier. C’est un peu notre consécration, et forcément ça fait peur. On pense aussi à un deuxième album, c’est dans un coin de nos têtes. Là, il fait beau, on s’est dit qu’on voulait composer quelque chose de beaucoup plus estival, contrairement à cet album très nocturne, très posé, secret, intime. Pour la suite, j’aimerais qu’on fasse l’inverse, et on va s’y mettre. Et bien sûr, on a une grosse tournée cet été.
Plutôt festival ou concert ?
FLORE : Les deux. On a fait beaucoup de concerts depuis le mois de mars, et là cet été ce sont plutôt des festivals. A partir du mois de septembre, on refait une tournée avec des concerts, cette fois dans des plus grosses salles.
C’est quoi votre scène rêvée ?
CHARLES : Jusqu'à maintenant on fantasmait sur l’Olympia. Maintenant qu’on sait qu’on le fait, on a peur ! Sinon, je pense qu’on aimerait tous jouer dans un pays qui change, quelque chose d’exotique. Là, on a appris qu’on avait un gros public au Brésil et au Japon, moi j'adorerais aller les rencontrer !
Qu’est-ce que vous aimez dans vos clips ?
CHARLES : Ce qui m'intéresse dans le clip, c'est d’avoir l'interprétation du réalisateur et non pas de lui imposer quelque chose. On se met d’accord sur un pitch, je leur donne les mots clés, on en parle et ensuite je leur laisse carte blanche. Paris, c’est le clip qui a été fait en premier par Clémence Demaine. On avait envie de parler de ce truc factice, ce truc de la fille un peu superficielle dans laquelle tu t'engouffres. Un clip permet de donner une autre vie au morceau.