Le 1er février 2016, Julia Sedefdjian faisait sensation dans la gastro-sphère ! Le Michelin venait de la récompenser d’un macaron et la propulser plus jeune cheffe étoilée de France à seulement 21 ans. Deux ans plus tard, la Niçoise part voler de ses propres ailes et s’apprête à ouvrir avec 2 associés son propre restaurant rue de Pontoise, dans le 5e : Baieta, qui signifie “bisou” en patois nissart. Rencontre avec l’enfant prodigue de la gastronomie qui n’a pas la langue dans sa poche.
Chef, c’est une vocation ?
A 12 ans, j’ai commencé à m’intéresser à la cuisine, j’ai toujours été gourmande. J’adore les repas de famille, ces moments hors du temps où tu oublies tout, où c’est à celui qui gueule le plus fort à table pour raconter son histoire. J’allais souvent à la pâtisserie du père de ma marraine le mercredi. On faisait des gâteaux, des chocolats pour Pâques. Il avait toujours des anecdotes à me raconter. Je trouvais que ça avait l’air d’être très marrant...
Et alors, c’était marrant ?
A 14 ans, ma première semaine en cuisine a été d’une violence… Ça faisait deux ans que je faisais du forcing à ma mère pour faire l’école hôtelière : je n’avais pas intérêt à lui dire que j’avais changé d’avis. On ne peut pas s’imaginer la réalité et la pression d’une cuisine ! Parce qu’au début, je ne comprenais pas ce qu’on me demandait, je mettais 10 ans à tailler un poivron… A l’époque, j’étais un peu rebelle, mais j’ai tout de suite compris que ce n’était pas là que j’allais l'ouvrir !
Comment êtes-vous devenue cheffe 2 étoiles à 21 ans ?
J’ai quitté Nice à 17 ans pour prendre une place de commis au restaurant les Fables de la Fontaine, rue Saint-Dominique. Deux ans plus tard, j’étais sous-cheffe. On m’a proposé la place de cheffe à mes 20 ans quand le précédent est parti. Un challenge de malade dans la mesure où je n’avais jamais défini ma cuisine avant ! J’ai réussi à garder l’étoile… Ce n’est pas compliqué, cette étoile a changé ma vie. Je me suis rendu compte qu’il fallait apprendre à parler aux médias, par exemple. Au début, je vivais presque ça comme une punition. Quand on est cuisiner, on est un peu planquée au fond d’une caverne et coupée du monde… Ça m’a ouverte !
Comment vous situez-vous par rapport à tous ces gens qui cherchent la lumière avec ces émissions de télé ?
Je n’ai pas besoin de m’afficher sur Top Chef, ce n’est pas mon but. Si j’ai quelque chose à prouver, c’est à mes clients, à mes associés, à ma brigade. Et si je veux faire un concours, Meilleur Ouvrier France - je m'entraîne et je le passerai… En vrai. Pas à la télé.
Comment avez-vous trouvé “la signature” de votre cuisine ?
C’est super dur au début. En fait je n’avais vraiment pas encore défini “ma” propre cuisine. C’est là qu’il faut conceptualiser une carte. Jusqu’ici, je n’avais jamais eu mon mot à dire, même si on me consultait un peu. Je suis partie des produits que j’aimais travailler et en me posant des vraies questions ! Qui suis-je ? Qu’est ce qui me caractérise ? Qu’est ce que j’aime manger en famille ?
En l'occurrence, j’ai vécu 17 ans à Nice, ce sont mes premières saveurs... L’histoire de ma vie, c’est l'aïoli. Il est devenu mon plat signature !
Pourquoi avoir monté votre propre restaurant ?
Parce que j’ai rencontré mes deux associés : mon sous-chef en cuisine et mon directeur de salle. Ça fait 6 ans qu’on travaille ensemble. On a la même vision du business, de l’avenir ensemble, du resto en lui-même. On aime les mêmes choses, on est gourmands tous les trois, on est passionnés.
Parlez-nous de votre nouveau restaurant...
Il s’appelle Baieta qui signifie “bisou” en patois niçois. L’idée, c’est d’aller chercher une étoile… dans la convivialité ! Avec mes associés, on veut démocratiser l'exigence d’une cuisine étoilée, avec des assiettes magnifiques mais des clients qui se sentent comme à la maison. Par exemple, déguster les amuse-bouche avec les doigts en se sentant à l’aise.
Comment définissez-vous la cuisine de Baileta ?
Gourmande mais raffinée. Accessible mais travaillée.
Ça change quoi de passer de chef à entrepreneuse ?
Tout et rien en même temps. Avant, je jouais l’argent du patron, maintenant je joue mon argent et celui de mes associés, donc forcément ça fait plus peur ! Mais je ne travaillerai pas différemment parce que je faisais déjà hyper attention à tous mes coûts… Aux Fables de la Fontaine, la cuisine, c’était ma partie de A à Z, budget compris.
Quel est votre business model ?
Nous sommes en train de créer notre maison mère, mais nous avons plein de petits projets dans différents styles de restauration. On ne veut pas se cantonner à l’étoilé. On est jeune, on a envie de s'éclater, d’avoir des lieux qui nous ressemblent sur différents types de restauration. L’idée évidemment, ce n’est pas de créer une chaîne, mais une série de lieux qui ait chacun son âme.
De quel clan gastronomique te sens-tu proche?
Pierre Sang et Tomy Gousset. Ce sont des chefs très discrets et qui ont les pieds sur terre. Ce qui les intéresse, c’est de faire marcher leurs restos, pas de faire les commères. On dit que la restauration, c’est une grande famille. C’est faux. Il y a beaucoup d'hypocrisie, ça balance beaucoup plus qu'on ne le croit... Faut arrêter !
Un grand chef qui t’inspire ?
Anne-Sophie Pic. C’est mon modèle.
C’est compliqué d'être une femme qui plus est jeune dans le monde de la bouffe ?
D’un côté, il y a des gens super fiers pour toi et qui trouvent ça génial de voir une fille en cuisine… Et d’autres à qui tu sens que tu mets la rage. Je me donne encore plus à fond. Pour faire rager les rageux. Mais que tu sois jeune ou pas, femme ou pas femme : ça reste avant tout un métier où tu dois faire tes preuves et te remettre en question sans arrêt. C’est le cap à passer pour tout le monde...
Quelle mauvaise critique vous collerait le plus les boules ?
La mauvaise critique fait toujours mal mais peut permettre de te remettre en question. Ça peut etre parfois réel, ils ne disent pas que des conneries...
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