Universitaire de formation, Iris Brey décrypte les représentations de la sexualité féminine dans les séries américaines. Sa série documentaire Sex and the series, jeudi sur OCS City, brosse le portrait génial de six héroïnes de séries cultes, parmi lesquelles Girls, Masters of Sex ou The L World. Sériephile compulsive, la réalisatrice franco-américaine est une féministe engagée. Interview remue-méninges 100 % girl power.
Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser aux séries ?
J’ai fait mon doctorat à la New York University, ma thèse portait sur la représentation des mères dans le cinéma français. J’enseigne le cinéma à l’université de Californie à Paris. En travaillant à la fac sur la représentation des femmes, j’ai commencé à regarder beaucoup de séries. C’est là, plus qu’au cinéma, que les choses bougent.
Comment avez-vous choisi les héroïnes de votre série documentaire ?
Je voulais des héroïnes très différentes. Maura dans Transparent est une transgenre de 70 ans. Lenny, de The L Word, une lesbienne abusée dans l’enfance. Dans Masters of Sex, Victoria Johnson est inspirée d’un personnage réel à l’origine de la révolution sexuelle. Pour Fleabag, la sexualité est liée à la mortalité. Et Marnie, de Girls, incarne cette génération de femmes qui a grandi à l’ère du porno. Leurs parcours montrent que la sexualité est évolutive.
Vos premiers émois télévisés ?
The L Word. Je me souviens avoir été troublée par la manière dont les corps étaient filmés. Je n’avais jamais vu des corps de femmes s’aimer comme ça. Très fort ! Sex and the City aussi. Vers 15 ans, je ne comprenais pas toutes les blagues sexuelles et ça m’intriguait.
Le titre de votre série est d’ailleurs un clin d’œil à cette série culte. Qu’est-ce qu’elle a apporté selon vous ?
Sex and the City a été libératrice du point de vue de la parole mais aussi parce qu’elle mettait en scène une solidarité féminine, sujet rare à la télé. Le fondement du show, ce sont quatre héroïnes qui parlent de sexualité crûment. L’intrigue entre Carrie et Mister Big est le fil conducteur mais Carrie et ses amies placent leur amitié avant leurs relations avec les hommes.
En quoi la série Girls a-t-elle également fait bouger les lignes ?
D’abord parce qu’elle est écrite, réalisée et jouée par une femme. Dans Girls, Lena Dunham dépasse le mythe du prince charmant : Hannah et ses amies ne couchent pas pour trouver l’homme de leur vie mais pour comprendre qui elles sont. Les scènes de sexe racontent quelque chose sur les personnages. Aujourd’hui pour une jeune femme, il y a peu de références. A l’école, on n’en parle pas. Qu’est-ce qu’il reste ? Le porno… et les séries.
Aussi parce qu’elle montre des corps qui ne sont pas parfaits ?
Lena Dunham brandit son corps en surpoids comme une revendication politique. Ça nous heurte parce qu’on n'a pas l’habitude de voir des corps féminins comme ça. Quand on voit une femme nue qui fait du 36, personne ne s’en offusque ! Dans la dernière saison, il y a cette scène géniale où elle se met au soleil en montrant son sexe, totalement libérée. Elle réussit son pari car on finit par sentir nous aussi le soleil sur notre peau.
La scène hot la plus mémorable dans une série ?
L’annulingus de Marnie dans Girls ! Je pense qu’il y a beaucoup de personnes qui n’ont pas compris de quel acte il s’agissait. On a toujours l’habitude de voir la femme à genoux devant l’homme. Là, les rôles sont inversés. C’est une image forte, qui marque une époque.
Et la plus ratée ?
Toutes celles où on oublie de montrer le désir. C’est un peu le cas de la scène de plan à trois dans 10 pour cent. Peu importe le sexe, l’intention doit être claire et assumée. Sinon je pense à Game of Thrones. La sexualité y est représentée de manière catastrophique, putassière et voyeuriste. Les scènes de viol érotisées. Un tel acte n’est pas censé exciter le spectateur ! C’est problématique et très grave. Cela prouve qu’on n’a toujours pas compris ce qu’est le consentement aujourd’hui.
Toutes vos héroines sont issues de shows américains. Pourquoi la France est-elle à la traîne ?
Contrairement aux Etats-Unis où il y a des femmes productrices, showrunneuses, scénaristes… en France, ces postes clés sont majoritairement masculins. Il y a du chemin à faire.
Quelle série pour pimenter sa vie sexuelle ?
I love Dick, sur Amazon. Ça raconte l’histoire d’un couple ensemble depuis 20 ans qui trouve le moyen de rebooster sa libido en incluant une tierce personne, le fameux Dick, qui devient un fantasme. Une série qui pose la question de comment le désir circule. Forcément, ça nous parle.
La dernière série que vous avez binge-watchée ?
The Bold Type. Trois jeunes femmes de 20 ans qui travaillent dans un magazine féminin. Un soap qui fait penser à Gossip Girl mais version féministe.
A laquelle de vos héroïne vous identifiez-vous ?
J’ai l’impression de comprendre les questionnements que chacune traverse. Mais je dirais Marnie, pour son côté control freak.
Et la sexualité masculine, c’est un sujet qui vous inspire ?
Pas du tout. Il y a très peu d’œuvres qui traitent de la virilité et de héros qui montrent leur failles. Californication ? Un mec obsessionnel qui veut baiser tout le monde. On passe 99 % de notre temps à regarder des séries avec des hommes. Mon combat n’est pas celui-là. Je le laisse à quelqu’un d’autre.
A force de regarder des séries, cela vous donne-t-il des envies d’écriture ?
Oui forcément ! Mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant…
Sex and the Series, dès le jeudi 5 octobre à 21h30 sur OCS City.