Phéno : pourquoi les mecs nous envoient des selfies de leur engin ?

Autrefois, nos grand-mères recevaient des missives enflammées, des océans de roses, des rivières de diamants. Aujourd’hui, pour nous séduire, les mecs nous envoient des photos de leur pénis. Pourquoi ? Bonne question...

Selon une récente étude*, 78 % des femmes de 13 à 34 ans (et 69 % des 35-54 ans) auraient déjà reçu une dick pic, soit une photo de pénis, en érection ou non (les stats sont encore floues sur la répartition). Nouvelle égérie de notre société de l’image ultra-connectée, la dick, shootée à gogo, est ensuite fièrement envoyée par leurs propriétaires à leurs conquêtes censément hyper impatientes d’admirer l’engin. Censément, hein… Parce que nombreuses sont celles qui ne comprennent pas bien l’intérêt de ces verges en gros plan surgissant sur un écran d’iPhone, par-dessus la photo des kids et en pleine réunion ("Coucou, c’est le gland !"). Pourtant, selon une autre étude**, un tiers des expéditeurs espèrent obtenir ainsi les faveurs de leur destinataire. La moitié espère recevoir des boobs en retour (aaaah, ok !) et un quart se dit "fier de l’aspect de son pénis et veut le partager avec d’autres". Ben voyons.

On a tous en commun trois domaines : la nourriture, la famille et le sexe. Alors, quand on observe le torrent de #foodporn et la #happymamma mania sur Insta, on comprend mieux pourquoi le réseau social, fin connaisseur des ères digitales, a banni dès l’origine ce troisième segment de sa ligne édito. On imagine avec effroi nos cuty feeds inondés de #instadick et autres #dickoftheday.

"À chaque fois qu’il y a eu une nouvelle technologie dans l’histoire de l’Humanité, le sexe a été un des premiers médias qui y a été véhiculé. À l’époque des VHS, on s’échangeait des cassettes de porno. Quand il y a eu les webcams, immédiatement il y a eu les vidéos de cul. À partir du moment où les MMS et autres Whatsapp ont existé, les dick pics ont inévitablement débarqué", explique Olivier Levard, auteur de Facebook : mes amis, mes amours, des emmerdes – la vérité sur les réseaux sociaux ***. Un smartphone greffé H24 dans la paume, un pénis à portée de main… on imagine mal comment une tripotée d’individus de sexe masculins n’auraient pas eu le réflexe naturel d’immortaliser cet attribut qui les obsède depuis la petite enfance. Clic. Reste plus qu’à l’envoyer… Ou pas.

Car se pose la question du consentement. Oui, une bite, c’est marrant. Quand on la connaît, et qu’on est toute disposée à recevoir sa visite inopinée dans notre champ de vision. En revanche, des dick pics non sollicitées peuvent être considérées comme une violence sexuelle. Car, technologique ou pas, la dick pic n’est ni plus ni moins qu’une exhibition sexuelle. Dans le cadre d’un jeu consenti, aucun problème. Mais dans le doute, on garde sa jolie série photo pour soi.

Anthony Weiner (candidat à la mairie de New York ayant publié une photo de son pénis sur Twitter suite à une erreur de manipulation), Luc Lemonnier, Jeff Bezos (le patron d’Amazon), et aujourd’hui, Benjamin Griveaux… Pourquoi les hommes de pouvoir sont-ils assez neneus pour envoyer, encore aujourd’hui, dick pics et autres dick movies au tout venant ? "C’est très sain d’avoir des zones de son cerveau où on a une intimité. Toutes les mega-stars peuvent avoir des histoires comme ça. Et puis, parfois, la pulsion sexuelle est tellement forte qu’elle peut annuler leur discernement intellectuel", explique Olivier Levard. Qui ajoute : "C’est la première génération d’hommes politiques à envoyer des dick pics. Mitterrand ou Charles Pasqua l’auraient probablement fait s’ils avaient eu l’âge de Benjamin Griveaux. À l’époque de Marie-Antoinette, les gens s’échangeaient des petits dessins de la reine en train de forniquer avec d’autres hommes que le roi. Ce qui nous fascine, c’est que les puissants soient ‘comme nous’. On dit aussi que les métiers hyper stressants sont des métiers où la sexualité est débridée. La mise en scène de puissance dans la sexualité, c’est quelque chose de vieux comme le monde."

Les gars, sachez-le : dick pic envoyée, dick pic partagée. Aux copines, bien sûr. Sinon c’est du revenge porn, et c’est puni par la loi (ce qui sera potentiellement le cas dans l’affaire Griveaux). Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, on poste une intimité factice (ou extimitée), où l’on filtre, markète, pimpe une vie qui n’est pas vraiment la nôtre. L’amitié, les larmes, la mort, le sexe, toute cette réalité reste secrète, confiée seulement à nos proches. Alors non, n’en déplaise à certains esprits chagrins qui arguent que notre vie privée est morte, il n’en est rien dès lors qu’on prend garde à segmenter intelligemment. "En revanche, la technologie fait que lorsqu’elle est dévoilée, ça n’est plus ton voisin qui reçoit la lettre d’un corbeau. C’est toute la France qui reçoit la bite de Griveaux."

* Sondage YouGov, 2019

** The Journal of Sex Research, 2019

** Aux éditions Michalon