Aurore Bergé, le nouveau visage de la politique 2.0

Aurore Berger Interview

Cette trentenaire n’est pas une femme politique comme les autres. D’abord parce qu’elle n’a pas hésité à quitter Les Républicains après avoir été directrice numérique du candidat Juppé pour se rallier à Macron quand les anciens militants passaient une vie derrière le même parti. Un pur produit de la génération Y qui n’hésite pas à zapper si elle considère que c’est justifié. Une féministe qui a la liberté dans la peau et considère que la seule véritable arme politique c'est l’indépendance. Résultat, elle a gardé son vrai job, hors du monde politique, et surtout ne compte pas y rester toute sa vie... Ce qui ne l’empêche pas d’envisager de se présenter comme députée aux législatives de juin. “On verra après les présidentielles”. Entre une séance de tractage et une réunion dans son agence de com’, Aurore Bergé nous a parlé de son étonnant itinéraire dans le monde politique. Féminisme, misogynie, influence des réseaux sociaux : entretien sans langue de bois.

La politique, c’est un rêve de petite fille ?

Je ne dirais pas que c’est un rêve, mais ça a commencé très tôt. Quand j’avais une dizaine d'années, je voulais être présidente de l’ONU. Je sais, c’est bizarre. J’étais déçue quand mes parents m’ont avoué qu’il n’y avait pas de président. Quand j’étais au lycée, à 16 ans, juste après le 21 avril, je me suis engagée. J’étais étonnée que mes amis ne soient pas en colère contre ce qu’ils étaient en train de voir. Ils étaient résignés, pensant que de toute façon Jean-Marie Le Pen ne passerait pas contre Chirac. Il n’y a pas eu de débat dans mon lycée privé de Versailles, ville dans laquelle le Front National a toujours été très bas.

Ce moment a coïncidé avec la création de l’UMP, auquel j’ai adhéré quelques mois après. J’ai trouvé stimulant de participer aux commencements d’un parti. En plus, j’ai commencé à militer auprès de quelqu’un de très particulier et iconoclaste, Etienne Pinte, qui était le député maire de Versailles et à mille lieues des idées reçues sur les députés de droite. Il était très engagé sur la question du logement social, de la décence dans les prisons, contre la peine de mort… Il m’a marqué par son intégrité et son indépendance.

Quel est votre parcours ?

J’ai assez vite voulu faire Sciences Po, qui me paraissait le plus logique par rapport à ce que je voulais faire et mon engagement politique. En parallèle, de militante lambda, je suis progressivement devenue responsable des jeunes UMP de mon département. Je pilotais toute l’action militante de ma fédération pour les jeunes, en pleine période de campagne présidentielle et de l’arrivée de Nicolas Sarkozy au premier plan.

Des nouveaux candidats, des nouvelles méthodes de campagne, des nouvelles idées… La campagne de 2007 était hyper enthousiasmante, beaucoup plus que celle-ci. Je suis ensuite devenue porte-parole de l’équipe nationale des jeunes UMP, puis j’ai été candidate aux régionales… Les choses se sont enchaînées naturellement.

Vous avez toujours été dans la politique ?

Être élue n’est pas mon job. J’ai un vrai job ! A Sciences Po, j’ai fait beaucoup de stages à l’Assemblée Nationale, dans un cabinet ministériel auprès de Xavier Bertrand, au Parlement Européen avec Roselyne Bachelot… Quand j’ai fini Sciences Po, c’était la période des campagnes européennes auxquelles j’ai participé.

Un député européen m’a proposé de travailler avec lui, j’ai été son assistante parlementaire sur toute la partie com’ et politique pendant huit mois. Mais je voulais aussi bosser dans le privé pour être plus libre et ne pas dépendre des politiques. Pouvoir claquer la porte quand j’en avais envie. Par exemple, j’étais favorable au mariage pour tous. Si j’avais travaillé pour un parlementaire de droite, il est fort probable qu’il m’aurait demandé de me taire, étant très probablement contre. Je ne voulais pas vivre par procuration d’un candidat.

Du coup, je suis partie dans une agence de comm’ événementielle qui m’a amenée à travailler au Qatar ou encore en Côte d’Ivoire. Là, je viens de rejoindre ma troisième agence. j’ai été débauchée par Hopscotch chez qui je suis directrice conseil autour des relations média, influence digitale, etc… Tout le monde n’en a pas conscience, mais la communication est un vrai métier qui s’apprend et nécessite une grande capacité d’adaptation.

Votre tagline “Libérale, progressiste, féministe” sur Twitter n’est pas là par hasard…

Non, en effet. C’est un engagement depuis toujours. Mes parents sont très féministes dans leur comportement, mon père le revendique même. Les deux travaillent, de même que mes grands-mères à l’époque. Ce n’est pas tant dans le côté militant que dans leur manière de vivre au quotidien.

C’est quoi pour vous, le féminisme ?

Déjà, c’est une obligation. Objectivement, on vit un moment qui n’est pas hyper serein par rapport à ça. Le simple fait que l’IVG soit devenu un sujet de la campagne présidentielle, en 2017, est pour moi un vrai sujet d’angoisse. Normalement, la seule question que l’on devrait se poser c’est “Comment faire pour que les femmes aient accès de manière sereine à leurs droits”. Et là on se demande s’il faut rembourser l’IVG, s’il faut supprimer le délit d’entrave, bref, des questions qui sont des limitations dans le droit. Il est pour moi évident qu’il s’agisse d’un droit fondamental. Ça m’inquiète de voir la régression en cours sur cette question-là.

Ça ne bouge pas non plus sur d’autres sujets comme l’égalité salariale ou les violences. Je crois que c’est déjà un acte militant en soi d’assumer d’être féministe. C’est parfois difficile de le dire. Je pense que beaucoup de femmes ont eu du mal à se reconnaître dans les modalités d’action de certains mouvements féministes considérés comme trop vindicatifs, et qui mettaient (à tort) les hommes de côté. Je ne crois pas que l’idée de victimisation des femmes ne nous rende service.

L’enjeu n’est pas tellement de savoir de quelle couleur sera l’oeuf dans le Kinder selon le sexe de l’enfant. Par contre, à l’école, est-ce que les méthodologies sont différenciées entre les garçons et les filles, et est-ce qu’on ne les enferme pas dans des rôles sexués, genrés… Voilà qui est essentiel. Je pense que le gouvernement s’est planté dans la manière d’appréhender ça à l’école et en a fait un sujet d’opposition entre la gauche et la droite. Il faut une égalité des droits et des possibles dès l’enfance.

 

 

La misogynie en politique est-elle encore un vrai sujet ?

Oui, évidemment. C'est un vrai sujet dans tous les secteurs concurrentiels où les places étaient à l’origine trustées par les hommes. La politique a été codifiée par et pour des mecs. Du coup, il faut qu’ils apprennent à rentrer en concurrence avec des femmes, avec des gens issus de la diversité, bref, il y a moins de places disponibles qu’avant. Ce n'est donc pas juste de la misogynie et du sexisme.

Ça peut changer pour ces prochaines élections. Déjà, 200 députés ne se représentent pas. La prochaine Assemblée de juin devrait être plus féminisée et rajeunie. Surtout si Macron est élu (rires). Après, il y a un phénomène de sexisme qui s’ajoute avec un système de corporation. Les hommes politiques ont du mal à voir d’un regard neutre une femme qui fait de la politique. Tu peux aussi avoir un côté paternaliste, ceux qui veulent te prendre sous leur aile et tout t’expliquer. Mais j’ai déjà un père, merci !

Qu’est-ce que l’affaire DSK a changé à ce sujet ?

Absolument rien. Déjà parce qu’il s’agissait de comportements pas uniquement vis-à-vis de femmes politiques. Je ne crois pas que cela ait limité les comportements déviants. Il suffit de voir ce qu’il s’est passé avec l’histoire Denis Baupin. La seule chose qui ait changé justement avec cette dernière affaire, c’est que maintenant les femmes osent parler. Je les ai trouvées hyper courageuses car elles s’exposent alors qu’elles n’avaient rien à y gagner.

Quand Cécile Duflot se fait siffler à l’Assemblée parce qu’elle ose porter une robe, pourquoi il n’y a pas un mec qui se lève pour dire aux autres d’arrêter ? Il aurait pourtant tout à y gagner en terme d’image. Il n’y en a pas un qui l’a fait. On voit là un effet moutonnier de reproduction des comportements. Ce qui fait que je ne suis pas sûre que cela changera avec la nouvelle génération.

Et quant à la parité à l’Assemblée ?

Elle a montré que les femmes étaient tout aussi compétentes que les hommes. C’est la fameuse phrase de Françoise Giroud : “Le jour où il y aura autant de femmes incompétentes que d’hommes incompétents, la parité aura gagné”. Le genre est neutre. J’aurais préféré qu’il n’y ait pas besoin de loi qui contraigne à le faire, mais c’était un mal nécessaire.

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© AFP

Qu’est-ce qui vous ferait marrer si vous changiez de carrière ?

En vrai, je ne sais pas. Je serai peut-être candidate aux législatives en juin prochain. Peut-être que dans quelques semaines ma vie sera différente, ou pas. Je sais que si je gagne, je ne ferai pas ça 30 ans de ma vie. J’irai peut-être vivre à l’étranger, il y a plein de métiers qui me tentent. J’ai toujours rêvé d’être scénariste, j’ai même envisagé de reprendre mes études dans ce sens. Je monterai peut-être une boîte. Je ne sais pas si j’aurai le temps de tout faire !

Qu’est-ce que le digital a changé dans la politique ?

Ce qui est positif, c’est que ça a permis l'émergence de gens et d’idées. On a vachement désacralisé la fonction politique, car en un tweet on peut désormais interpeller, engueuler etc. Quand tu es ministre, du fait de ton agenda tu crois rencontrer beaucoup de gens, mais en fait ce ne sont que des gens qui sont d’accord avec toi. Contrairement aux personnes sur les réseaux sociaux. C’est bénéfique pour prendre le pouls et cerner un peu les tendances.

Le négatif, c’est le rythme que ça a imposé. Tu as une obligation d’instantanéité qui à mon avis n’est pas saine. La politique n’est pas le temps des réseaux sociaux. On ne peut pas y mesurer les effets d’une réforme. Du coup, les hommes et les femmes politiques sont devenus de vrais commentateurs, ce qui les éloigne de l’action propre. Ce n’est pas le sujet, c’est le boulot des éditorialistes, des journalistes.

Quant au temps de parole gagné sur les réseaux, prenez Youtube et Mélenchon. Ses vidéos sur Internet ont autant d’impact qu’une matinale à la radio désormais. La notion de temps de parole dans les médias est totalement obsolète. Les gens ont trouvé de nouveaux moyens de s’informer.

Quel est votre réseau social préféré ?

Twitter. Je suis totalement addict. Je réponds très régulièrement aux gens. Et j’en bloque aussi, parfois ! C’est celui que j’utilise à longueur de journée, comme une extension de moi-même. Cela fait partie de mon mode de vie, mon mode de consommation de la presse, là où je trouve mes sources d’information. La presse vient à moi via Twitter. Je suis énormément de journalistes français et internationaux, de think tanks...

LinkedIn, c’est uniquement pro. Je ne mets rien de politique dessus. Facebook, c’est pour le perso et le politique. Instagram, c’est un compte privé. C’est ma vie à moi, je n’accepte que les gens que je connais vraiment.

Ça vous arrive de faire des digital detox ?

Jamais !! Je l’ai un peu fait après la primaire, quand je suis partie une semaine en vacances. J’ai un peu éteint mon téléphone portable. J’avais réservé une maison sur Airbnb, puis je me suis rendu compte que sur le descriptif il y avait écrit “Pas de Wifi”. Je n’ai pas compris ! Je crois qu’il s’agissait d’un acte manqué. J’ai lu, et ça m’a fait du bien.

Pendant une campagne, comment arrivez-vous à respirer ?

Grâce à mes amis, aux gens qui me sont proches. C’est l’essentiel. Le risque est d’être très auto-centré, et le fait d’avoir des gens autour de toi qui sont sains et ne font pas de politique fait du bien. J’ai toujours veillé à ne pas perdre mes amis proches de vue. Eux et ma famille sont ma priorité.

La politique paraît inaccessible. Comment faire pour se lancer ?

Il n’y a pas de règles. Je viens d’un milieu très privilégié, culturellement très favorisé. Mais mes parents ne connaissaient personne dans ce milieu-là. J’ai montré que j’avais l’envie et l’assiduité. Il n’y a pas de recette miracle. Je ne regrette pas d’avoir eu un engagement. Cela aurait été douloureux pour moi d’être passée à côté de cette campagne qui comporte plein de risques, notamment avec la montée de l’extrême droite.

Doit-on prendre le risque de rester spectateur ou d’essayer ? C’est comme quand on décide de se mettre en couple. C’est une question de personnalité. Les personnes aimant la politique doivent aussi la désacraliser, ce n’est pas un secteur inaccessible. Il faut comparer avec des risques que l’on a pu prendre dans la vie de tous les jours, dans la vie personnelle. Moi, je préfère prendre le risque de me planter.

C’est quoi votre série politique préférée ?

The West Wing. C’est la politique rêvée, fantasmée, avec un président Prix Nobel d’économie, entouré de gens brillantissimes, et qui arrive à résoudre des conflits extrêmement compliqués. J’ai beaucoup aimé Borgen, Madam Secretary, House of Cards… Quand j’ai le temps, je les regarde toutes, j’adore ça !

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© a.fastcampany.ne

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